Les risques naturels de surpoids chez les femmes
Résultats d’une étude menée au Cameroun en 2018
Aujourd’hui je partage avec vous les fruits d’une recherche en santé publique que j’ai effectuée il y a presque un an. L’étude a porté sur les facteurs de risque « naturels » de surpoids chez les femmes et s’est déroulée sur une période de 5 mois au courant de l’année 2018. Vous la trouverez accessible ici. Je m’étais promis de rendre accessible les conclusions de mes recherches par voie de publication d’un article scientifique. Cependant, compte tenu des délais que cela prend, j’ai décidé de rendre public les résultats de cette recherche sur mon blog de vulgarisation scientifique en santé publique. Cette décision fait suite à de nombreuses idées reçues que j’ai très souvent entendu au Cameroun concernant les facteurs de risque de la surcharge pondérale chez les individus en particulier chez les femmes. Les résultats que nous partageons ici permettront à chacun de confronter les idées reçues avec les éclairages de la science.
1. Quelques différences hommes/femmes
A la naissance, les garçons et filles ont peu de différences au niveau morphologique et physionomique. Cependant, avec le temps quelques petites différences commencent à se faire remarquer. Nous ne parlons pas ici de différences comportementales mais bien au niveau anatomique et physiologique. Ces différences continuent de s’accentuer progressivement jusqu’à la puberté. A partir de ce moment, les hommes prennent plus de masse musculaire avec un corps qui se développe davantage afin de les préparer à affronter leur vie d’homme. Ces développements rapides du corps du jeune homme pourraient être le résultat d’un héritage préhistorique où l’homme devait pourvoir aux besoins de sa famille tout en lui assurant une protection. Face aux fauves de la nature, de véritables compétences de guerriers étaient donc indispensables. Chez la jeune femme, le développement du corps vise à le préparer à accueillir la vie à partir du moment de la puberté. On note entre autre un accroissement de la masse graisseuse et des tissus adipeux. Une fois que la gestation arrive, elle s’accompagne de changements brusques tant hormonaux que physiologique : le corps se prépare à donner la vie. Après la maternité, le corps de la femme doit continuer à entretenir cette vie en lui fournissant de quoi manger par le biais de l’allaitement maternel. Ce qui n’est pas sans incidence au niveau pondéral. Tous ces changements exposent la femme à un risque plus élevé de surpoids par rapport aux hommes. La mauvaise alimentation combinée à une sédentarité accentuée n’améliore en rien la situation. Nous n’aborderons pas toutefois dans cet article les facteurs du surpoids liés au style de vie mais bien les facteurs qu’on pourrait qualifier de naturels.
2. Bon à savoir
Le surpoids présente une prévalence plus élevée au sein de la population des femmes que chez celle des hommes [1]. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la prévalence du surpoids et de l’obésité en 2016 au Cameroun est respectivement de 29,5% et 9,6%. Chez les femmes, le surpoids et l’obésité sont plus répandus avec des prévalences respectives de 36,9% et 14,3% contre 22,1% et 4,9% chez les hommes. Chez les femmes, un indice de masse corporel inadéquat (insuffisance ou surcharge pondérale) durant la grossesse est associé à des risques de perturbations de son déroulement. Cependant, si la masse corporelle n’est pas associée aux complications de la santé maternelle et périnatale, il existe toutefois une association entre une prise de poids excessive liée à la grossesse et les complications de la santé maternelle [2]. Le Dr George D. Pamplona-Roger, Docteur en médecine et en chirurgie de l’Université de Grenade en Espagne recommande aux femmes d’avoir un IMC sain idéalement situé entre 19 et 25 kg/m2 au moment d’envisager une grossesse.
Il existe de nombreux indicateurs permettant de mesurer la composition corporelle des individus. La masse corporelle seule n’a de réelle signification que si elle est rapportée à d’autres informations comme la taille ou l’âge. Sept indicateurs de mesure de l’état pondéral sont recommandés par l’Organisation mondiale de la santé : l’indice de masse corporelle, le pourcentage de perte de poids, la taille assise, l’indice pondéral de Rohrer, le rapport taille/hanche, la circonférence et la section musculaire du bras. Le plus répandu reste l’indice de masse corporelle qui est très largement utilisé par les nutritionnistes, diététiciens et médecins. Il se calcule en rapportant la masse en kilogrammes (kg) d’un individu sur sa taille au carrée mesurée en mètres (m). Son unité est donc le kilogramme par mètre carré (kilogramme par m2). Des seuils d’IMC permettent de déterminer la situation pondérale des individus et sont utilisés au niveau international comme référence. En dessous de 18,5 on est en état d’insuffisance pondérale ; entre 18,5 et 25 on a un poids dit normal ; entre 25 et 30 on est en situation de surpoids et enfin à plus de 30, on est en situation d’obésité.
3. Cartographie pondérale chez les femmes
La cartographie pondérale des femmes au Cameroun met en lumière des associations avec certaines caractéristiques sociodémographiques et économiques.
Les femmes en insuffisance pondérale sont les jeunes filles (15-19 ans) vivant principalement dans la région du Grand-Nord du pays, de religion musulmane et de groupe ethnique soudanais. Elles ne vivent pas en couple et n’ont pas d’enfant. Du côté du niveau d’instruction, ces femmes n’ont jamais été scolarisées et vivent dans des ménages très pauvres.
Pour ce qui est des femmes ayant un poids normal, elles vivent principalement dans des ménages pauvres en zone rurale. Elles ont effectué leur premier accouchement à moins de 15 ans et ont plus de 5 enfants.
Les femmes en surpoids sont principalement les chrétiennes de groupe ethnique semi-Bantou vivant en couple. Elles sont âgées de 25 à 34 ans, ont effectué leur premier accouchement entre 16 et 20 ans et ont moins de 4 enfants. Ce sont des femmes de niveau d’instruction secondaire vivant dans les ménages riches.
Enfin, les femmes concernées par l’obésité sont principalement de groupe ethnique Bantou vivant dans les régions du Grand-Centre et Grand-Littoral, plus spécifiquement dans les villes de Douala et Yaoundé. Elles sont de niveau d’instruction supérieur de même que leur partenaire. Ces femmes ont effectué leur premier accouchement à plus de 21 ans et vivent dans des ménages très riches.
4. Les risques naturels de surcharge pondérale chez la femme
Nous définissons le surpoids comme l’accroissement plus que proportionnel de la masse corporelle par rapport à la taille. Pour un adulte, un accroissement de l’IMC est synonyme d’une augmentation de la masse corporelle étant donné que la taille reste fixe. Pour les adolescents, le surpoids résulte d’un accroissement plus que proportionnel du poids par rapport à l’âge. Les facteurs naturels de risque que nous présentons ici concernent le niveau de vie, la région d’habitation, le milieu de résidence, le niveau d’instruction, l’état matrimonial, le nombre d’enfants, l’état gestationnel des femmes, l’âge et l’âge au premier accouchement.
4.1. Région d’habitation
Le Cameroun est découpé en dix régions administratives qui sont regroupées en quatre grandes régions selon leur proximité culturelle et sociale. Les dix régions administratives sont regroupées ainsi : le Grand-Nord (régions de l’Extrême-Nord, Nord et Adamaoua) ; le Grand-Centre (régions du Centre, Sud et Est) ; le Grand-Littoral (régions du Littoral et Sud-Ouest) ; et enfin le Grand-Ouest (régions de l’Ouest et Nord-Ouest). Douala et Yaoundé sont les deux principales villes du pays sur le plan économique et politique. On y retrouve l’ensemble des ethnies, religion et comportements socio-culturels du fait de leurs caractères cosmopolites. Elles font partir respectivement des régions du Littoral et du Centre. Les femmes habitant les régions du Grand-Ouest, Grand-Littoral et Grand-Centre ont en moyenne un IMC supérieur à celui des femmes habitant la région du Grand-Nord. La région d’habitation constitue un risque de surpoids car elle est associée à des pratiques culturelles et alimentaires locales qui ont un impact sur la santé.
4.2. Etat gestationnel
Pour ce qui est de l’état gestationnel, les femmes enceintes ont en moyenne un IMC supérieur de 5,3% par rapport à celles des femmes pas enceintes. Les femmes n’ayant jamais accouché ont donc en moyenne un IMC inférieur à celui des femmes ayant déjà accouché. La gestation est donc un facteur de risque de surcharge pondérale. Cependant, ce risque décroit avec le niveau d’IMC. La gestation entraine une prise de poids plus élevée chez les femmes à faible IMC que chez celles à IMC élevé. La prise de poids étant inévitable chez les femmes enceintes, l’American Institute of Medicine a publié en 2009 les niveaux de prise de poids recommandés durant la grossesse. Ces recommandations sont de 12,5 à 18 kg pour les femmes en insuffisance pondérale ; 11,5 à 16 kg pour les femmes de poids normal ; 7 à 11,5 kg pour les femmes en surpoids et seulement de 5 à 9 kg pour les femmes obèses. Compte tenu du fait que la gestation constitue un facteur de risque de surpoids, on s’attendrait en toute logique à ce qu’une succession de maternités le soit aussi. Or avoir un enfant de plus, fait baisser l’IMC en moyenne de 0,5% (voir point suivant).
4.3. Etat matrimonial et nombre d’enfants
Les femmes vivant en couple n’ont pas plus de risque d’être en surpoids que celles vivant seules. Le statut matrimonial n’a donc pas d’effet sur l’IMC. Cependant, le nombre d’enfants accouché est un facteur protecteur du surpoids chez les femmes. En effet, avoir un enfant de plus réduit l’IMC de 0,5% bien que cette diminution reste assez faible.
4.4. Milieu de résidence
Résider en milieu urbain particulièrement dans les villes de Douala & Yaoundé accroit le risque de surpoids de 3% par rapport à la zone rurale. Pour les femmes vivant dans les autres villes, le risque est de 1,6% plus élevé soit un peu moins que pour les principales villes du pays.
4.5. Âge des femmes et âge au premier accouchement
L’IMC des femmes croit également avec l’âge. Un anniversaire supplémentaire accroit en moyenne l’IMC des femmes en moyenne de 0,5%. Les femmes en surpoids ont tendance à prendre davantage de poids avec l’âge par rapport à celles avec un poids plus sain. Par ailleurs, les femmes ayant eu leur première grossesse relativement tardivement ont un IMC inférieur à celles ayant accouché pour la première fois un peu plus tôt.
4.6. Niveau de vie
On note une dégradation de l’IMC avec le niveau de vie. Plus le niveau de vie est élevé, plus l’IMC a des chances de l’être également. En effet, les femmes vivant dans les ménages pauvres, les ménages de la classe moyenne, les ménages riches et les ménages très riches ont en moyenne un IMC supérieur de 1,5%, 3,9%, 5,3% et 6,7% respectivement par rapport aux femmes vivant dans les ménages les plus pauvres. Toutefois, le niveau de vie a une influence plus élevée chez les femmes à IMC élevé que chez celles à IMC bas. La relation entre statut socioéconomique et risque d’obésité est toutefois inverse dans les pays développés. Dans ces derniers, un statut socioéconomique favorable agit comme un facteur protecteur de l’obésité tandis que dans les pays en voie de développement, c’est la situation inverse qui sévit. Les personnes jouissant d’un statut socioéconomique défavorable sont moins exposées au risque d’obésité par rapport à ceux à statut socioéconomique plus favorable.
4.7. Niveau d’instruction
Un niveau d’instruction élevé de la femme et/ou de son partenaire est associé à un risque plus important de surpoids par rapport un niveau d’instruction faible. Ceci est assez paradoxal car on s’attend à ce que les femmes plus instruites aient une meilleure connaissance de la nutrition. Toutefois, étant donné le lien étroit qui existe entre le niveau d’instruction et le niveau de vie, ce dernier pourrait agir comme facteur de confusion.
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